Les accords d’Abraham

L’impasse dans le processus de paix israélo-arabe a pris fin à la suite d’une chaine de déclarations apaisantes entre d’anciens ennemis. Où ces accords historiques vont-ils mener ?

Le 15 septembre dernier, une initiative de paix historique a été signée par les États-Unis, Israël et les Émirats arabes unis.

C’était le premier des accords d’Abraham, tirant leur nom du patriarche biblique reconnu par les trois religions monothéistes du Moyen-Orient – le judaïsme, le christianisme et l’islam. Ces traités reconnaissent l’ancêtre commun des peuples juif et arabe ; acceptent le fait que les Juifs – en tant que peuple et en tant que foi – sont autochtones au Moyen-Orient ; et ces traités normalisent les relations entre ces pays.

Un nouveau carnet de route pour la paix

Lors de leur signature, à la Maison Blanche, le président américain Donald Trump les a qualifiés d’historiques pour la région. « Après des décennies de divisions et de conflits, a-t-il dit, nous marquons l’aube d’un nouveau Moyen-Orient ». Et il a ajouté : « C’est la paix au Moyen-Orient sans sang versé partout sur le sable. »

La nouvelle ébauche de paix a été tracée par plusieurs initiatives que les experts en géopolitique ont d’abord rejetées, les qualifiant d’horribles bavures qui allaient détruire le rôle de l’Amérique dans les négociations de paix dans la région. S’écartant radicalement de la diplomatie de ses prédécesseurs, le président afficha une fusion avec Israël et coupa tout soutien financier aux organismes chroniquement contre l’occident et antisémitiques, soutenant le terrorisme, insistant simultanément – lors de son premier voyage à l’étranger depuis son élection – sur le rôle clé de la puissance régionale qu’est l’Arabie Saoudite. Il est aussi le premier président américain en poste à s’être rendu au mur des Lamentations à Jérusalem, en 2018 et à avoir déplacé l’ambassade américaine à Jérusalem.

La paix est déclarée

Depuis sa création en 1948, Israël a été englué dans une lutte constante avec ses voisins arabes. La décision courageuse des Émirats arabes unis – de rompre la glace et d’être le premier pays arabe en plusieurs décennies à déclarer la paix et à établir des relations diplomatiques avec Israël – a été accueillie au son du shofar dans la capitale, Dubaï. Le prince héritier des Émirats a surpris en annonçant qu’il espérait voir des visiteurs remplir des hôtels des Émirats lors de la Pâque. Les gestes de bonne volonté se sont ensuite rapidement succédés – le Bahreïn, le Soudan et le Maroc concluant des accords similaires – quatre nations arabes cherchant, en l’espace de quatre mois, à faire la paix avec Israël. Benjamin Netanyahu – Premier ministre d’Israël – a déclaré : « C’est un jour historique annonciateur d’une nouvelle aube de paix ».

Des voisins hostiles

Ce n’est pas la première fois qu’Israël et les nations arabes ont signé des accords de paix. Des déclarations de paix antérieures ont paru formidables, mais elles n’ont accompli que des changements négligeables, car des ennemis ne concluent pas la paix ; seuls d’anciens ennemis peuvent faire la paix. Israël maintient pour le moment une paix distante avec l’Égypte et la Jordanie, n’ayant pas de liens commerciaux ou touristiques suffisants capables de produire un substrat de bonne volonté.

Les accords de Camp David signés en 1978 entre l’Égypte et Israël étaient mémorables, mais du fait de l’hostilité persistante qui avait caractérisé ces pays quand ils étaient en guerre , la presse égyptienne contrôlée par l’État était demeurée immensément hostile à l’État juif, et l’armée égyptienne avait continué de se préparer pour la guerre contre Israël. Bien qu’ayant une frontière commune, d’après les données de la Banque Mondiale, Israël était en 27e position en tant que partenaire commercial avec l’Égypte, en 2018.

Le traité de paix de 1994 entre la Jordanie et Israël a eu une brève lune de miel ; l’opinion publique s’est aigrie considérablement et le tourisme a cessé. En dehors de leur coopération en matière de sécurité, on qualifie leurs rapports de stables mais de glacés. Plus d’un quart de siècle après ce noble traité, les diplomates israéliens à Amman ne quittent cependant leurs quartiers que le vendredi, quand ils retournent chez eux, en Israël, en convois blindés.

D’autres opportunités

« Israël fait partie de l’héritage de toute cette région, a déclaré le ministre des Affaires Étrangères du Bahreïn, Khalid bin Ahmed Al Khalifa lors de la préparation du traité. Le peuple juif a une place parmi nous ». Cette déclaration contraste énormément avec le triple consensus tristement notoire de la Ligue arabe qui ne reconnait pas Israël, et qui refuse de négocier et de faire la paix avec l’État juif.

Ce traité significatif promet une prospérité accrue, les Émirats arabes unis et Israël étant parmi les économies les plus avancées du Moyen-Orient. Passant généralement pour être la porte du Moyen-Orient, la position géographique unique des Émirats, situés à l’extrémité méridionale du Golfe Persique, fournit un pont commercial vital vers le subcontinent indien. Depuis la signature de ce traité, les investissements, le tourisme et la coopération technologique ont augmenté à un rythme record. Les Émirats et Israël ont déjà signé un fonds d’investissement de $3 milliards appelé le Fonds d’Abraham, destiné à faciliter les échanges d’infrastructures, la productivité agricole et les projets d’eau potable.

Le rayonnement technologique d’Israël pousse les nations arabes à normaliser leurs relations avec ce pays créatif, entrepreneurial, à la main-d’œuvre éduquée et multiculturelle. Ayant l’une des économies les plus prospères du monde, Israël possède une forte concentration d’ingénieurs, de doctorats et, comme les Émirats, est un moteur d’innovations. Les accords fournissent une interdépendance économique gagnante qui convainc les pays arabes voisins que la paix produit la prospérité.  

Les États-Unis encouragent fortement d’autres pays arabes – notamment l’Arabie Saoudite, la plus grande puissance du Golfe – à saisir la branche d’olivier de la paix. En tant que gardienne de La Mecque et de Médine – les deux villes saintes majeures de l’islam – l’Arabie Saoudite encourage discrètement toute normalisation avec l’État juif, et ses rapports avec ce dernier se réchauffent nettement. Citant la paix comme son « option stratégique », la maison des Saoud se distancie de plus en plus de son soutien à l’islamisme radical, mais la monarchie demeure méfiante vis-à-vis des perceptions religieuses.

Des sables mouvants

Les Accords d’Abraham reflètent un changement majeur dans la dynamique régionale, ces cinq dernières années. Les positions qui ont façonné la région au 20e siècle ont largement disparu, une plus grande stabilité, une plus grande sécurité et de nouveaux soucis économiques ayant surgi. 

Quatre États dans la région – la Lybie, le Yémen, la Syrie et l’Iraq – sont ravagés par la guerre et appauvris, ayant sombré dans d’amères guerres civiles. Le Liban, qui a longtemps été la capitale financière du monde arabe, est saturé de conflits. L’Égypte – jadis la locomotive politique et culturelle du monde arabe – a vu son économie, basée sur le commerce et le tourisme, broyée par la pandémie.   

La dysfonction économique, les populations croissantes et le manque d’emplois caractérisent la région. Quand on y ajoute l’accroissement énorme du pourcentage d’Arabes de moins de 30 ans qui se considèrent « non religieux » – comme l’a démontré un sondage de la BBC en 2019 (Arab Barometer) indiquant également leur méfiance accrue pour leurs chefs religieux – le mélange risque d’être explosif. 

Moins de pétrole, au revoir les Américains !

Pendant plusieurs décennies, le pétrole a passé pour être une ressource limitée, critique pour l’économie mondiale, mais les revenus pétroliers stagnants ont réduit le pouvoir arabe. Avec la découverte de gisements de gaz naturel dans les eaux orientales de la Méditerranée, Israël est devenu autonome en carburants fossiles. L’Amérique, grâce à l’industrie de fracturation, est à présent le plus grand producteur de pétrole et de gaz naturel, ce qui réduit la vulnérabilité géopolitique de Washington aux évènements dans la région et donne un nouvel élan au retrait américain du Moyen-Orient.

Le motivateur le plus puissant pour le changement dans les affaires internationales est la peur. « Les Arabes, d’après le pronostiqueur connu George Friedman, ont basé leur politique sur l’hypothèse que les États-Unis allaient garantir leurs intérêts, et même leur existence … ce qui demeure possible, mais ce que l’Amérique a fait a été de créer une incertitude critique ». L’analyste géopolitique du Wall Street Journal Walter Russell Mead a fait remarquer : « L’ironie, c’est le cauchemar arabe actuel, c'est à dire que la prochaine administration américaine ne soutiendrait pas suffisamment Israël ».

L’obstacle iranien

L’élection de Joe Biden à la présidence américaine ajoute à l’insécurité dans la région ; on craint que les États-Unis rejoignent l’accord nucléaire controversé de 2015 – une décision à laquelle s’opposent de nombreux pays arabes et Israël. On pense généralement que cela fournirait à l’Iran un moyen de fabriquer des armes nucléaires quand cet accord expirerait. L’Iran contrôle le détroit d’Hormuz, le goulot d’étranglement à la sortie du Golfe Persique, l’artère pétrolière par laquelle transitent 20% de l’or noir du monde. Les mollahs de Téhéran ont déjà la mainmise sur cette région du monde en forme de croissant où la population est à majorité chiite. Si l’Iran réussit à renverser quelques monarchies du Golfe faisant la paix avec Israël, et devient le gardien de la ville sainte de La Mecque, il pourrait essayer de légitimer une suprématie théocratique sur tous les musulmans de la région et à travers le monde.

Plus les États-Unis se retirent, plus le monde arabe sunnite apprécie Israël. Un nombre croissant de dirigeants arabes sunnites a commencé à se prémunir contre un retrait américain de la région en se rapprochant d’Israël, le seul pays ayant l’expérience, les intentions et la capacité de contrer un Iran possédant l’arme nucléaire. « Les États du Golf, selon M. Mead, voient de plus en plus Israël non comme un insecte qu’une puissance arabe renaissante devrait écraser, mais comme un lion capable de les protéger contre l’Iran ».

La rhétorique de l’hostilité

Les Accords d’Abraham ont été accueillis par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu comme « glorieux » et tels « un pivot historique », mais plusieurs responsables palestiniens ont émis des rejets venimeux qualifiant les accords de « trahison », de « coup de poignard dans le dos » et de « journée noire » dans l’histoire des habitants de la Palestine.  Dans la région, on prend souvent le parti des Palestiniens.  À divers moments, la Palestine était le seul sujet sur lequel les dirigeants arabes pouvaient s’entendre. Les accords de paix antérieurs – qui étaient basés sur le principe d’un territoire pour la paix – étaient continuellement enlisés par les intraitables exigences palestiniennes.

Les pays arabes, après avoir trainé ces boulets pendant 50 ans, ont fait savoir qu’eux aussi pensent que les Palestiniens ne cessent de fonder leur espoir sur des illusions et ont raté beaucoup d’occasions. À partir de ce point de vue, beaucoup de nations arabes ont conclu qu’il y a plus à gagner en oubliant les Palestiniens et en concluant une alliance stratégique avec Israël.

La plus ancienne querelle de famille

Après quatre millénaires, le patriarche biblique Abraham continue d’avoir un impact sur le Moyen-Orient et sur nous. Les accords portant son nom sont légitimes car ils reconnaissent que les peuples arabe et juif partagent comme ancêtre ce personnage révéré et sont originaires de la région. La Bible et le Coran se disputant son héritage, les troubles politiques et religieux actuels du Moyen-Orient représentent, en somme, une querelle familiale entre les descendants d’Abraham.

Abraham est décrit comme un pèlerin zélé (Genèse 12:1-7 ; Actes 7:2-3 ; Hébreux 11:8-10), suivant l’ordre divin et partant pour Canaan (appelé par la suite la Terre Promise et la Terre Sainte). Comme beaucoup au Moyen-Orient, à présent, Abraham était profondément attaché à sa foi, hospitalier envers les inconnus, et il protégeait bravement sa famille et ses voisins (Genèse 14:8-17 ; 17:11 ; 18:1-8).

Le foyer du patriarche est devenu « surpeuplé » et de plus en plus hostile, car Saraï et Isaac vivaient avec Agar – la servante égyptienne – et son fils Ismaël, aussi issu d’Abraham. Dieu révèle, dans la Bible, qu’Isaac était le fils de la promesse et qu’il était disposé à être sacrifié (Genèse 22:1-19), mais la plupart des érudits arabes trouvent que la Bible a été corrompue ; pour eux, Ismaël – l’ancêtre de beaucoup de peuples arabes modernes – est, dans son récit, la victime. Le Coran s’écarte encore davantage de la Bible en ce qu’il décrit Abraham établissant le pèlerinage sacré à la Mecque en y rendant visite à Ismaël et où ils bâtissent ensemble la Kaaba, sanctuaire sacré de l’islam.

Le récit biblique décrit l’animosité entre Isaac et Ismaël et leurs descendants. La « haine persistante » (Ézéchiel 35:5) qu’ils se vouent remonte à bien des générations et ce n’est pas en signant des accords qu’elle va soudain disparaître. Un nombre incalculable de tués, des lacs de sang et des souffrances humaines interminables marquent l’histoire de cette région intrinsèquement instable et volatile. Les occasions propices à un changement dramatique se présentent rarement, au Moyen-Orient, et les accords d’Abraham risquent d’être éphémères. Chaque jour peut être porteur d’un nouveau coup et les artisans de la paix d’hier pourraient bien devenir les traitres qu’on assassinera demain. Pourtant, comme le dit la Bible, « Heureux ceux qui procurent la paix » (Matthieu 5:9) et « s’il est possible, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes » (Romains 12:18).

Comme l’indiquent les chapitres 12 à 14 du livre de Zacharie, à la fin de l’ère présente, l’État d’Israël doit faire l’objet de bien des controverses et de graves conflits impliquant tous les pays. Et cela durera jusqu’à ce que Christ – le « Prince de la paix » revienne et instaure définitivement la paix (Ésaïe 9:6-7). Ces évènements, et l’avenir du Moyen-Orient et du monde, sont expliqués dans notre brochure gratuite Le livre de l’Apocalypse : la tempête avant le calme.

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